Le voyage ulyssien de Madeleine Gebelin

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Madeleine nait le 26 novembre 1842, à Bouillargues dans le Gard ; son père Ulysse Gibelin est maréchal-ferrant. Il travaille souvent à l’hôpital de Nîmes où il ferre les chevaux et répare les voitures hospitalières. Dès l’âge de 8 ans Madeleine aide les religieuses et trouve sa vocation : elle veut « guérir les femmes et les enfants ». Ses parents viennent s’installer à Paris quand elle a 12 ans et elle se marie à 15 ans avec Adrien BRES, conducteur d’omnibus dont elle a trois enfants. A 24 ans, elle frappe à la porte de la faculté de médecine de Paris. Le doyen Charles-Adolphe Wurtz (1817-1884) lui explique qu’il faut le sésame, le baccaluaréant ouvert aux jeunes filles en 1866 « Passe ton bac d’abord ». « prêtera le serment d’Hippocrate le 3 juin 1875, après avoir soutenu sa thèse « De la mamelle et de l’allaitement ». . Thèse de Madeleine Brès par Jean Béraud Elle dans le Gard à Bouillargues. Son père, Ulysse Gebelin, se rend souvent à. qui l’entraîne à sa suite dans l’hôpital. Et voilà une fillette de huit ans, affublée d’un tablier blanc bien trop grand pour son âge, qui sert de la tisane ou du bouillon, et même aide à poser un cataplasme. Au fil des années, toujours sous l’aile de sa bienfaitrice, A 12 ans, sa famille part pour Paris. Elle se marie à 15 ans et un mois avec Adrien Brès, un Lozérien de 9 ans son aînée, conducteur d’omnibus. Elle sait parfaitement lire et écrire, mais cela ne lui est d’aucune utilité pour tenir son ménage, puis faire un enfant, un second et encore un troisième. On pourrait croire que devenir médecin n’était qu’un rêve fou de petite fille. En effet, désormais, elle a bien trop de soucis en tête, entre s’occuper de son mari, du foyer conjugal, avec la charge de l’éducation de ses enfants et la préparation du trousseau de sa progéniture. Or, à 24 ans, la voilà frappant à la porte de Charles-Adolphe Wurtz (1817-1884),. Et cet honorable professeur entend dire que cette jeune femme souhaite entreprendre des études médicales. Vu son âge et sa posture, Charles-Adolphe Wurtz aurait pu éconduire cette impertinente ne disposant même pas du baccalauréat. Mais cette farouche volonté féminine lui plaît. Il lui conseille donc de réussir le baccalauréat, alors lui apportera-t-il tout son soutien. Une première femme, Julie Daublié, a été la première bachelière en France, en 1861, après la création de cours secondaires pour les jeunes filles. Or, l’école refuse à Madeleine Brès, mariée et donc mineure devant le Code civil napoléonien, son inscription. Que cela ne tienne, la jeune femme passe son examen en candidate libre, avec l’autorisation de son époux, vu que juridiquement les femmes sont déclarées incapables juridiquement et ne peuvent rien s’autoriser sans le consentement du mari. Madeleine Brès, baccalauréat es sciences en poche après 3 ans d’études, s’en revient devant le doyen de la faculté de médecine de Paris. C’est l’été 1868 et l’an passé, le Conseil de l’Instruction publique se prononça contre l’entrée des femmes en faculté de médecine, car contraire aux bonnes mœurs et à leur condition « naturelle ». En fait, les préjugés sont nombreux dans les milieux scientifiques : peu de force physique, des menstruations qui l’affaiblisse une fois par mois ; enceinte, avec « un gros ventre » comment s’approcher des malades ; grande sensibilité à la vue « du sang, des corps découpés et de la saleté difficilement supportables. » ; d’autres discours évoquent le caractère orgueilleux d’une femme qui souhaite être médecin et donc égale à l’homme dans cette profession : « Ce n’est jamais un rôle secondaire qu’elles ont la prétention de remplir. Et pourquoi ne pas se contenter d’être infirmière ou sage-femme ».Quant au docteur Richelot, vice-président de la Société de médecine de Paris, il éructe dans l’Union médicale, estimant que l’arrivée des femmes constituera une« déplorable tendance […], une maladie de notre époque ». Dans son ouvrage La Femme-médecin, paru en 1875, il écrit que « pour être médecin, il faut avoir une intelligence ouverte et prompte, une instruction solide et variée, un caractère sérieux et ferme, un grand sang froid, un mélange de bonté et d’énergie, un empire complet sur toutes ses sensations, une vigueur morale et au besoin, une force musculaire. Ne sont-elles pas au contraire de la nature féminine ». En 1888, le professeur Jean-Martin Charcot (1825-1893), clinicien, neurologue et académicien, estime que « les prétentions des femmes (pour être médecin) sont exorbitantes, car elles sont contraires à la nature même des choses et à l’esthétique ». En 1900, la revue La médecine moderne souligne que « la femme ne peut être qu’une thérapeute médiocre, […] qu’elle est de ces herbes folles qui ont envahi la flore de la société, […] qu’elle ne sera jamais qu’une excellente garde-malade ». Les oppositions sont nombreuses et fortes. Mais Charles-Adolphe Wurtz, doyen de la faculté de médecine de Paris, tient sa parole. Il intercède en faveur de sa protégée auprès de Victor Duruy, ministre de l’Instruction publique. Mais l’admission à la faculté de médecine s’opère en conseil des ministres de Napoléon III. Toutefois, il faut toujours respecter la loi. Aussi, on doit s’enregistrer la permission de son mari. Adrien Brès y consent sans façon devant le maire du 5e arrondissement de Paris, le 24 octobre 1868. Le professeur Wurtz prend Madeleine Brès comme élève, son autorité fait taire d’éventuels charivaris qui se commettraient dans l’amphithéâtre de la faculté. Dans les universités où les femmes sont admises, souvent, elles sont assises aux plus mauvaises places et parfois bombardées de projectiles par les étudiants de sexe masculin. Sept ans d’études, mais Madeleine Brès ne peut être ni interne ni externe des hôpitaux de Paris, suivant la loi. Le professeur Pierre Broca, partisan de l‘accès des femmes à la médecine, la prend en « qualité d’élève stagiaire » dans son service. Au cours de la Guerre de 1870, Madeleine Brès remplace les hommes partis dans les hôpitaux militaires et remplit, de ce fait, les fonctions d’interne à la Pitié. (…). Et le 3 juin 1875, elle devient docteur en médecine. La seconde femme docteur est reçue en 1879. Pierre Moulinier, d’après les archives de la faculté de médecine entre 1870 et 1900, révèle que sur 14 529 reçus, 28 sont des femmes françaises et 201 des étrangères. Madeleine Brès établit son cabinet rue Boissy d’Anglans, à Paris, pour les femmes et les enfants en particulier. Devenue spécialiste dans la relation mère-bébé et l’hygiène des jeunes enfants, la ville la charge de faire des conférences aux directrices des écoles maternelles. Elle va aussi diriger un journal Hygiène de la femme et de l’enfant et publier des ouvrages de puériculture. En 1880, elle fonde aux Batignolles une crèche, grâce à des dons de femmes. En 1891, le gouvernement la missionne pour aller étudier en Suisse l’organisation des crèches. 50 ans de dévouement à la médecine des femmes et des enfants. Or, elle décède oubliée, pauvre et aveugle, à 79 ans, le 30 novembre 1921 à Montrouge. Pourtant, en 1891, le Nouveau guide pratique des jeunes filles dans le choix d’une profession disait de Madeleine Brès qu’elle « fit les démarches auprès de M. le professeur Wurtz et obtint ce droit pour les femmes. » Extraits de mon ouvrage Le travail des femmes autrefois, chez l’Harmattan