AFFM Grand Est : Ethique et VIH – Vendredi 5 décembre 2014

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La Section Grand Est de l’AFFM a organisé le 5 décembre dernier, à la brasserie Excelsior de Nancy,  une réunion médicale sur ETHIQUE ET VIH, animée par le Docteur Laurence BOYER.

Nous vous en livrons ici le CR.

Docteur Laurence BOYER,

PH dans le service des maladies Infectieuses, CHU de Nancy, coordinatrice médicale de COREVIH Lorraine-Champagne-Ardenne.

Prévalence de l’infection à VIH (Virus de l’Immunodéficience Humaine)

Dans le monde, en 2013, on estime à 35,3 millions le nombre de personnes vivant avec le VIH et 2,3 millions de nouvelles contaminations.

La majorité des personnes contaminées vivent en Afrique Subsaharienne.

En France, 6000 personnes sont dépistées chaque année, un tiers est représenté par des femmes.

39 % des nouveaux diagnostics sont faits à un stade avancé de l’infection, avec une immunité déjà bien altérée.

Environ 30 000 personnes seraient infectées sans le savoir et seraient à l’origine de 2/3 des nouvelles contaminations.

Les HSH (hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes) sont les plus concernés (42% de nouvelles contaminations). Ce pourcentage ne cesse d’augmenter, la prévention ayant été abandonnée dans ce milieu, sous prétexte de l’efficacité des traitements.

Les femmes nées à l’étranger représentent 23% des nouvelles contaminations. La proportion est en baisse continue depuis 2003.

Les femmes nées en France représentent 7% des nouvelles contaminations. Cette proportion est stable depuis 2009.

Ethique et VIH

L’éthique est définie comme l’ensemble des principes moraux qui sont à la base de la conduite de quelqu’un. La morale est la science qui nous enseigne les règles à suivre pour faire le bien et éviter le mal. C’est un ensemble des règles, de principes, couramment admis pour la direction d’une bonne conduite.

Il y a différents aspects éthiques dans la prise en charge de l’infection par le VIH :

– À l’échelle individuelle, il faudrait tout faire pour éviter la contamination d’autrui.

Pour cela il faudrait que dans les couples, ou lors de rapports avec des partenaires inconnus, la personne contaminée informe le partenaire sexuel de son statut sérologique, pour que ce dernier puisse choisir de prendre le risque et puisse réaliser la prophylaxie post exposition en cas de rupture du préservatif.

Concernant la grossesse et la transmission du VIH de la mère à l’enfant, il faudrait dépister les femmes enceintes pour pouvoir traiter celles qui sont infectées et éviter ainsi la contamination de l’enfant à naître.

– A l’échelle nationale, il faudrait pouvoir soigner toutes les personnes infectées présentes sur le territoire, et donc prendre en charge les patients migrants, les détenus, les clandestins…

– A l’échelle mondiale, il faudrait qu’il existe une égalité des soins entre les pays du nord et du sud et donc permettre un accès aux soins, au dépistage et aux traitements ARV (Anti-Rétro-Viraux) à tous.

 

Concernant l’information du partenaire sexuel, un patient infecté par le VIH peut garder son secret. Personne ne peut l’obliger à informer son partenaire et le médecin est lié au secret professionnel (article L110-4 du Code de la Santé Publique, article 4 du Code de Déontologie.

En 2002, le CNOM admettait que dans certaines circonstances, d’autres valeurs peuvent prédominer sur le caractère absolu du secret professionnel. Il offre au médecin « un choix de conscience » : le professionnel peut invoquer « l’état de nécessité ». Mais l’infection par le VIH n’est pas un critère d’exception du secret. Seule la protection du partenaire stable pourrait constituer un état de nécessité, mais la démarche doit rester exceptionnelle.

Cependant, la loi évolue. Le patient a l’obligation morale d’informer son partenaire.

La Cour de cassation a condamné en 2006, à 6 ans de prison, un homme pour avoir contaminé 2 femmes: « atteinte volontaire à l’intégrité de la personne et administration de substance nuisible ». Ce motif de condamnation est intégré au Code Pénal en 2008. Un patient peut donc être jugé pour avoir mis en danger la vie d’autrui.

 

Concernant les femmes enceintes, les choses sont devenues plus simples. Au début de l’épidémie, en raison de l’absence de traitement, les malades mouraient rapidement. Les femmes enceintes contaminées n’étaient pas encouragées à garder le bébé (risque de contamination, d’être orphelin…). Depuis 1996, les patientes infectées vivant plus longuement grâce aux trithérapies efficaces, le désir de grossesse est pris en compte. La prise en charge de la grossesse est réalisée conjointement par l’infectiologue et le gynécologue. Depuis 2004, les patientes infectées par le VIH ont accès à la PMA, de même que les patients infectés par le VIH qui expriment un désir de paternité.

 

Concernant la prise en charge des patients infectés sur le territoire, ils sont pris en charge gratuitement en situation d’urgence. En l’absence d’urgence, il faudra qu’ils apportent la preuve qu’ils vivent en France depuis plus de 3 mois pour ouvrir un dossier AME (Aide Médicale Etat).

 

Concernant la prise en charge de l’infection dans les pays émergents, il existe une mise à disposition de génériques des antirétroviraux dans de très nombreux pays. Les services sanitaires disposent de molécules permettant de réaliser des trithérapies de 1ère ligne, voire de 2ème ligne.

Mais le problème de prise en charge n’est pas seulement lié à la mise à disposition du traitement ARV. D’autres facteurs jouent un rôle primordial : rupture de stock (retard de commande, de livraisons, corruption…), difficultés pour les patients de se rendre dans les centres de prise en charge (lieux d’habitation éloignés des centres de soins, mauvaises infrastructures concernant les transports…), inaccessibilité à la prévention et à l’information (défaut d’instruction, fausses croyances, rôle de la religion …).

 

Prévention de la transmission du VIH  en France en 2014

Depuis 1997, un traitement post exposition (TPE ou Trithérapie d’urgence) est mis à la disposition de l’ensemble des soignants, en cas d’accident d’exposition au sang.

Ce traitement prophylactique a été étendu à la prévention du risque d’exposition par voie sexuelle, il est mis à disposition de l’ensemble de la population depuis 1998, dans tous les services d’accueil des urgences des hôpitaux du territoire.

En cas de prise de risque, sanguin ou sexuel, la prise en charge doit se faire le plus rapidement possible, au mieux dans les 4H et toujours avant 48H.

Les médecins des SAU prescrivent un Kit TPE pour 72H, les victimes sont ensuite adressées en consultations dans les services spécialisés de prise en charge du VIH (Infectiologie, Médecine Interne), où une réévaluation du risque est réalisée par un spécialiste.

Si le risque est avéré, le traitement d’urgence sera prolongé jusqu’au 28e jour.

Ce traitement pouvant être à l’origine d’effets secondaires, une surveillance clinique et biologique est instaurée au moins à J0, J14 et J28.

Une surveillance sérologique sera réalisée pour dépister une éventuelle séroconversion.

Si la personne a bénéficié d’un traitement d’urgence, une sérologie VIH sera réalisée à M 4 après l’accident d’exposition, soit M 3 après l’arrêt du traitement post exposition.

Si ce test est négatif, on pourra affirmer qu’il n’y a pas eu de contamination.

 

Nouvelles modalités de traitement des patients infectés par le VIH

Depuis octobre 2014, on note une modification dans l’instauration du traitement des personnes infectées par le VIH.

Jusque là, le patient infecté par le VIH n’était traité que si son état de santé le nécessitait (symptômes, immunité abaissée avec des lymphocytes CD4 < 350/mm3, charge viral VIH très élevé).

A partir d’octobre 2014, chaque personne dépistée VIH positive se voit proposer un traitement antirétroviral, quelque soit son état immunologique. Ce traitement antirétroviral devient un outil de prévention. Le but de ce traitement est d’abaisser la charge virale plasmatique de toutes les personnes infectées, et ainsi de diminuer le risque de transmission du virus aux partenaires.

Ce concept de TasP (treatment as prevention), est possible grâce à l’amélioration de la tolérance du traitement et de la prise du traitement.

 

Emergence de nouveaux problèmes éthiques

Suite à de nombreuses études, on admet actuellement que dans un couple hétérosexuel sérodiscordant (l’un est infecté par le VIH, l’autre ne l’est pas), il est possible d’avoir des rapports sexuels non protégés, si et seulement si :

– le couple est stable, (sans autre relation extra-conjugale)

– la personne non contaminée est informée de l’infection par le VIH de son partenaire, et qu’elle accepte donc de prendre le petit risque résiduel persistant.

– la personne contaminée a une charge virale non détectable depuis plus de 6 mois

– la personne contaminée prend un traitement de façon régulière, sans trouble de l’observance

– les 2 partenaires ont un suivi régulier pour le dépistage et le traitement éventuel des autres IST (syphilis, gonocoque, chlamydia, herpes, HPV, mycose…).

Dès la parution de ces conclusions, certains patients ont adapté le contenu et retenu uniquement les conditions qui les intéressaient, à savoir : «si je prends un traitement et que j’ai une charge virale indétectable, je peux me passer de préservatif… », donnant lieu à de nouveaux problèmes éthiques …

 

Références : Rapport MORLAT 2013.