DEMOGRAPHIE AU FEMININ – Les femmes, des généralistes comme les autres


D'ici à 2021, la parité sera atteinte chez les généralistes. Six femmes médecins de famille de différentes générations relatent leur expérience personnelle. Et battent en brèche les clichés selon lesquels la féminisation serait responsable de tous les maux de la profession.


En médecine générale, la femme est l’avenir de l’homme. Selon le dernier atlas de la démographie de l’Ordre, 48,2 % des médecins de famille en activité régulière sont des femmes, soit 9 points de plus qu’en 2010. La parité devrait être atteinte en 2021, selon les projections de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (ministère de la Santé).
Les femmes sont déjà largement majoritaires chez les jeunes médecins. Elles représentent 64 % des généralistes de moins de 40 ans. Mais qu'a changé la féminisation pour la médecine générale ? « Lorsque vous m’avez posé cette question, je me suis dit “mon Dieu, on en est toujours là ?” », plaisante le Dr Catherine Laporte, généraliste à Clermont-Ferrand (63) et présidente du comité scientifique du Congrès de médecine générale.

Effet de génération
Oui, on en est toujours là. Si les femmes ont progressivement investi la médecine générale depuis les années soixante, il n’est pas rare soixante ans plus tard d’entendre encore quelques idées reçues sur leur présence dans les cabinets. Elles travailleraient moins que les hommes, préféreraient le salariat pour s’occuper de leurs enfants et seraient même… les premières responsables de la crise de la démographie médicale ! « Le premier qui me sort ça, je lui rappelle que je fais 50 heures de consultation par semaine et le débat est vite clos », répond fermement le Dr Vanessa Fortané, généraliste à Bury (60) et vice-présidente du syndicat ReAGJIR (jeunes généralistes et remplaçants).
La stigmatisation du temps de travail des femmes médecins s’explique plus par un effet de génération que de genre. « Cela fait 10 ans qu’on entend que les femmes travaillent à mi-temps. Or, les hommes travaillent aussi beaucoup moins qu’avant », poursuit le Dr Laporte.
La jeune génération de praticiens, hommes comme femmes, aspire en effet à plus de temps personnel. Ces dernières « n’ont plus envie d'être au cabinet jusqu’à 23 heures, les jeunes hommes non plus. Ils ont une compagne qui travaille elle aussi et veulent davantage prendre part à la vie de la famille », analyse le Dr Brigitte Lecot, généraliste retraitée et secrétaire générale de l’Association française des femmes médecins (AFFM).
La vie personnelle n’a pas toujours eu la même place dans la vie des femmes généralistes. Les praticiennes aujourd’hui retraitées ont été témoins de ces changements. « À mon époque, nous avions quelque chose à montrer en tant que femmes et sacrifiions notre qualité de vie personnelle. Nous avions à prouver que nous étions les égales des hommes. Aujourd’hui, cette égalité est acquise », se réjouit le Dr Nicole Bez, membre du comité directeur de MG France, longtemps chargée de missions femmes au sein du syndicat.
Avec le recul, la généraliste lyonnaise à la retraite regrette d'avoir passé trop de temps au cabinet au détriment de ses enfants. « Je travaillais tous les samedis matin et j’ai raté beaucoup de fêtes des écoles », témoigne t-elle, émue. Le Dr Christine Bertin-Belot, généraliste à Besançon (25) et membre de l’association Femme médecin libéral rattachée au syndicat SML, a aménagé son activité à temps partiel et s’estime privilégiée. « J’ai eu quatre enfants et j’ai organisé mon installation à mi-temps grâce à l'aide de mon mari médecin. Seule, les charges de retraite et d’URSSAF auraient été trop lourdes », constate la généraliste de Besançon.

Défi de la maternité
Lorsque les Dr Bez et Bertin-Belot ont eu des enfants, il n'existait aucune protection maternité. Les femmes médecins libérales ont dû attendre 2006 et la loi Vautrin pour voir leur congé aligné sur celui des salariées. Depuis, l'Avantage supplémentaire maternité (ASM) créé en 2017 permet de couvrir en partie les frais du cabinet durant le repos maternel (les femmes médecins libérales peuvent bénéficier, après la naissance ou l’adoption d’un enfant, d’une indemnité mensuelle pouvant aller jusqu’à 3 100 euros brut pendant trois mois).
Malgré cela, faire des enfants quand on est femme médecin peut encore donner lieu à des discriminations. « Même s’il y a des indemnités, prendre un congé maternité en libéral signifie perdre deux mois de chiffre d’affaires. Ça reste difficile à gérer, mais pas seulement pour les médecins, toutes les femmes indépendantes sont concernées », observe le Dr Catherine Laporte.
Pour sa jeune consoeur, le Dr Virginie Desgrez, fraîchement installée à Cruseilles (74), il reste du chemin à faire pour libérer les femmes de cette « charge mentale » liée à la vie de famille. « En proportion, il y a encore plus de femmes que d’hommes qui ont la charge du foyer, des enfants », déplore la généraliste. Heureusement, les mentalités évoluent et les hommes sont de plus en plus nombreux à prendre leurs responsabilités. « Les hommes de ma génération prennent leur congé paternité avec plaisir, c’est acquis », ajoute le Dr Desgrez. Le Dr Vanessa Fortané observe aussi cette évolution positive : « Beaucoup de jeunes hommes ne travaillent pas le mercredi, prennent des vacances et ont décidé de participer à l’éducation de leurs enfants. »

Prise en charge différente ?
Les hommes et femmes de la nouvelle génération semblent donc travailler de façon similaire. Mais les femmes ont-elles pour autant la même approche de la médecine ? Plusieurs études menées dans les années 2010 mettaient en avant une plus grande capacité d’écoute, d’empathie chez les praticiennes.
Peu se sont intéressées au sujet depuis, mais les généralistes que nous avons interrogées sont toutes d’accord : le sexe du praticien n’a aucune incidence sur la façon de pratiquer la médecine générale aujourd’hui. « Je suis en train de lire Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir. Je ne pense pas que ma féminité amène quelque chose de plus », analyse le Dr Laporte. Même son de cloche chez le Dr Fortané : « Je ne suis pas sûre d’être la plus maternante du monde et je suis plutôt du genre rentre-dedans. C’est plus une histoire de personnalité », ajoute-t-elle.
En consultation, les patientes abordent par contre plus facilement certains sujets avec une femme médecin. « Je fais beaucoup de suivi gynéco et pédiatrique. Je pense que les femmes me parlent plus facilement de ce type de problèmes », confie le Dr Fortané. « Sur ces sujets-là, il est vrai que le contact se fait assez bien car on vit la même chose : la contraception, les dépistages, la grossesse. Les patientes s’identifient à nous, mais on ne peut pas dire qu’un homme le ferait moins bien », complète le Dr Brigitte Lecot de l’AFFM.

Moins de comportements sexistes
La médecine générale se conjugue donc aussi bien au féminin qu'au masculin. Au sein de la profession, les comportements sexistes, pointés du doigt par le récent mouvement #Metoo, semblent toutefois à la marge. Lors de son discours d'ouverture au Congrès de médecine générale (CMGF) 2018, le Dr Catherine Laporte avait d’ailleurs fait remarquer avec humour combien il lui était désagréable d'être parfois interpellée par des « ma belle » ou « ma grande ». Outre ces sorties déplacées, le poids des discriminations ne semble pas peser sur les consoeurs que nous avons interrogées.
« Je ne pense pas avoir déjà été discriminée à cause de mon sexe », confirme le Dr Desgrez. Les femmes restent toutefois minoritaires dans les instances représentatives (voir encadré ci-dessous).
« L’évolution a été considérable », ajoute le Dr Bez. Elle se rappelle avoir déserté l’un de ses premiers stages d’internat à l’hôpital pour protester, avec deux consoeurs, sur la façon dont elles étaient traitées dans le service. « On nous disait ouvertement qu’on prenait la place des hommes », témoigne-t-elle. Ce temps-là semble révolu. « L’avantage de la médecine générale libérale est que contrairement à d’autres domaines, il n’y a pas de discrimination à l’embauche pour les femmes. Je gagne exactement ce que gagnerait un homme en volume horaire », ajoute le Dr Laporte. Et de conclure : « Je n’ai pas de difficultés à être une femme généraliste en France aujourd’hui, simplement à être généraliste. »

Camille Roux et Amandine Le Blanc

© Alexander Raths

Et dans les instances, où sont les femmes ?

Elles représenteront bientôt plus de 50 % de la profession mais les femmes généralistes restent encore très minoritaires dans les instances représentatives et de gouvernance du monde de la santé.

Dans une tribune publiée dans Le Monde, un collectif réclamait il y a quelques jours plus de parité dans les postes hospitalo-universitaires, dans les instances de gouvernance des établissements, des facultés de médecine et les conseils d’administration des sociétés savantes médicales. En médecine générale, moins d’une dizaine de professeurs titulaires sont des femmes, c’est un peu mieux du côté des maîtres de conférences titulaires où elles représentent avec un peu plus d’un tiers des effectifs. En dehors de l’université, le bilan n’est pas plus glorieux. Trois femmes seulement sont présidentes d’URPS (Grand Est, Océan Indien et Martinique) et elles sont systématiquement en infériorité numérique dans les bureaux des Unions. Les bureaux des URPS d’Île-de-France et d’Auvergne-Rhône-Alpes n’en comptent même aucune. Toujours pas de femmes non plus à la tête des syndicats seniors. À l’Ordre des médecins, le Conseil national en compte cinq parmi ses quelque 54 membres. Et sur les 1 896 conseillers départementaux titulaires, 651 sont des conseillères, soit un tout petit peu plus d’un tiers.

Bientôt majoritaires, pas décisionnaires

De nouvelles règles, datées de l’été 2017, prévoient la parité pour les élections. Il faut maintenant voter pour un binôme (un homme, une femme). Les conseils départementaux sont en voie de renouvellement par moitié et le Conseil national sera modifié (également par moitié) en juin 2019.
« La parité parfaite interviendra dans trois ans, après renouvellement de l’autre moitié de ces conseils », explique le Cnom. Les conseils régionaux de l’Ordre seront pour leur part entièrement renouvelés début février. Mais pour certaines, cette parité reste une façade. « Les binômes imposés par le gouvernement n’empêchent pas que les femmes élues restent sur les strapontins. Dans les bureaux, elles ont des fonctions d’adjointes. Elles sont souvent chargées de l’entraide », estime le Dr Isabelle Gautier, présidente de l’Association française des femmes médecins. « On nous dit : de quoi vous plaignez-vous ? Vous serez majoritaires. Certes, mais pas décisionnaires. »
© Alessandro Capuzzo

Interview Dr Sophie Augros*

« La féminisation, une chance pour repenser l’organisation de notre métier »

Quel impact la féminisation a-t-elle sur l’organisation de la profession ?
Dr Sophie Augros : Les médecins ne sont plus corvéables à merci. Les femmes ont mis des limites entre vie professionnelle et vie privée. Cela a aidé également les hommes à prendre ces positions. La féminisation a aussi eu un impact sur l’amplitude horaire. Les médecins ne travaillent plus douze heures par jour tous les jours. Elle a également favorisé le regroupement des praticiens et facilité leur organisation. Ils ont aujourd’hui moins de culpabilité à partir plus tôt ou en congés.

Que répondez-vous à ceux qui affirment que les femmes sont responsables de la pénurie de médecins ?
Dr S. A. : Les femmes ne sont en rien la cause de ce problème. Les médecins de la nouvelle génération ne veulent plus travailler dans les mêmes conditions que leurs prédécesseurs. Plus personne ne veut du modèle du généraliste qui fait tout, tout seul. Et les femmes en général ont davantage conscience qu’elles ne peuvent pas tout gérer seules. À mon sens, la féminisation est une chance pour repenser l’organisation de la profession.
La crise démographique est là car nous n’avons pas anticipé cette féminisation et les volontés de changement de la génération des 35 heures. Dans d’autres entreprises, l’industrialisation, l’informatisation et la délégation aux machines ont peut-être permis d’amortir ces évolutions, mais nous restons un métier très humain où il est difficile de tout déléguer à l’intelligence artificielle.

Vous avez été l’une des rares femmes présidentes de syndicat. Pourquoi les instances de décision ou les postes universitaires restent-ils majoritairement masculins ?
Dr S. A. : La disponibilité demandée est la principale barrière. Les femmes ont souvent une double vie entre leur profession et leur foyer et une troisième se rajoute quand elles intègrent une institution. À un haut niveau de responsabilité, le temps d’engagement nécessaire est important. Pour rompre ce plafond de verre, nous devons peut-être revoir le mode de fonctionnement de ces institutions. Il est possible de faire du télétravail, de la téléconférence pour s’impliquer dans les décisions et s’éviter une accumulation de réunions en présentiel.

* Généraliste à Aime (Savoie), ancienne présidente de ReAGJIR, et récemment chargée par le ministère de la Santé d’une mission sur l’accès aux soins
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