Dîner-Débat sur l’Arrivée des Femmes en Médecine, Jeudi 16 Janvier 2014, Paris.
L’AFFM, représentée par sa Présidente, le Dr Cécile RENSON, a participé au Dîner-Débat organisé par les Amis, Alumni et Anciens de l’AP (AAA-APHP) sur le thème » l’arrivée des femmes en médecine », avec en invités d’honneur : M.Jean-Louis DEBRE, Président du Conseil Constitutionnel et Me Valérie BOCHENEK.
Voici l’intervention du Docteur Renson :
Quel exercice redoutable de prendre la parole après Jean-Louis Debré !
D’abord parce que vous venez d’être séduits par ses talents d’orateur et son immense culture.
Ensuite parce que ancien Ministre de l’Intérieur, président de l’Assemblée nationale, Président du Conseil Constitutionnel et petit-fils de Robert Debré, il évoque pour moi deux domaines qui ont sous-tendu mes modestes actions :
-la médecine dont j’ai appris l’enseignement au CHU Bretonneau de Tours et la pratique comme interne des Hôpitaux de la même ville,
-l’engagement politique qui ne m’a pas toujours facilité la vie, comme ancienne Conseiller (ère ?) de Paris . Et j’ai l’impression que les mesures de rétorsion continuent…..
Ces deux mots, Médecine et politique, illustrent bien le combat des femmes depuis bien longtemps, depuis la Révolution avec Olympe de Gouges et Waterloo pour le Docteur James Bary, alias Miranda …
L’arrivée des femmes en médecine, comme leur accès au droit de vote, s’inscrit dans un mouvement occidental d’émancipation des femmes de lutte pour l’égalité des sexes et une égale répartition des tâches et des places sociales.
Il est loin le temps où, comme le disait Proudhon, la femme ne peut être que « ménagère ou courtisane ».
Guy de Maupassant n’appréciait guère cette évolution lorsqu’il écrit dans lm préface de « L’Histoire de Manon Lescaut » : On s’efforce aujourd’hui de nous imposer la femme médecin ou la femme politique. La tentative est vaine…La femme sur terre a deux rôles bien distincts et charmants tous deux : l’amour et la maternité ».
Je me dois ici d’évoquer deux femmes, pardon, Monsieur le Président, de revenir sur l’histoire de ces femmes médecins, deux êtres exceptionnels qui ont milité pour réaliser leur profession et pour la cause des femmes !
Le première, Suzanne Noël, la pionnière en chirurgie esthétique, qui fit son premier lifting, dit-on en 1912, sur Sarah Bernhardt, ne se séparait jamais de son chapeau orné d’un ruban bleu qui portait l’inscription : « je veux voter ».
La seconde, Solange Troisier, qui fut ma marraine politique et à laquelle je dois beaucoup.
Inutile de présenter « Cette sacrée bonne femme « comme l’a appelé le Président Chirac en 2005 lorsqu’il l’a élevée au grade de Grand officier de la Légion d’Honneur. Elle était la petite fille de l’homme qui a donné son nom au funeste ganglion mais aussi petite-fille d’Emile Ollivier dernier ministre de Napoléon III. Elle sera médecin-lieutenant au cabinet du général de Lattre dans la première armée française, deviendra gynécologue, médecin des prisons, députée du Va l d’Oise en 1968, médecin Inspecteur général de l’administration pénitentiaire en 1973, et… présidente de l’Association française des femmes médecins. Je lui dois mon engagement politique et associatif…
Cette Association française des femmes médecins qui fête aujourd’hui ses 90 ans et dont je ne suis présidente que depuis quatre ans !
Elles étaient opiniâtres les étudiantes en médecine de 1920 où elles ne représentaient que 6% des effectifs. Alors, les femmes médecins, en 1923 sous la houlette du Docteur Lhuillier-Landry, lasses de se voir confier les actes dédaignés par leurs confrères, ont décidé de s’unir pour se faire reconnaître et se frayer un chemin professionnel dans un monde hostile.
Il n’est qu’à entendre le Docteur Fissinger, en 1900, qui disait: « la femme doctoresse est comme une de ces herbes folles qui ont envahi la flore de la société moderne. Très innocemment, elle s’est imaginée qu’ouvrir des livres et disséquer des cadavres allait lui livrer un cerveau nouveau »…
Alors que les femmes médecins américaines avaient constitué une association quatre ans plus tôt (1919), association qui allait devenir la Medical Woman International Association (MWIA) fédérant d’autres pays. 16 nationalités seront représentées au sein de la MWIA en 1924.
Mais la médecine n’a vraiment commencé à se féminiser que depuis une quarantaine d’années.
10% de femmes en 1962,
36% en 2003,
48% en 2014,
50% en 2020,
mais plus de 50% chez les médecins de moins de 40 ans.
Les jeunes femmes médecins ont à cœur de répondre à leurs trois vocations :
Epouse,
Mère,
Médecin.
La carrière de l’épouse est souvent dictée par des contraintes externes telles que la carrière du conjoint . Elles ne souhaitent pas s’installer avant d’avoir acquis une certaine stabilité quant à leur lieu de vie. Raison pour laquelle, elles gardent longtemps un statut de médecins remplaçants. 65% des médecins dont l’activité est irrégulière et ont moins de 45 ans sont des femmes.
La mère de famille refuse de s’installer dans une zone rurale mal desservie, sans écoles, sans activités culturelles. La lutte contre la désertification médicale devrait commencer par une politique de réaménagement du territoire.
Libérales, elles privilégient à 90% l’exercice en groupe, qui assure une meilleure continuité des soins, plus de souplesse dans l’emploi du temps et permet de s’entourer d’autres professionnels de santé tels qu’infirmières, kinésithérapeutes…
Elles veulent mener une vie harmonieuse, travaillent moins que les hommes (47 heures au lieu de 52), er pour 27% d’entre elles, elles choisissent d’exercer la médecine libérale à temps partiel.
Toutes les étudiantes en médecine décident d’exercer leur profession, mais leur exercice a changé. 2/3des nouvelles inscrites au Conseil de l’ordre choisissent d’exercer leur activité en tant que médecin salarié (dont les hospitaliers) ; moins de 10% des nouveaux arrivants, hommes et femmes confondus, ont choisi d’exercer en médecine libérale exclusive.
Elles fuient les spécialités à forte pénibilité telles que chirurgie générale, cardiovasculaire ou orthopédique et privilégient la gynécologie, la pédiatrie ou encore l’ophtalmologie ou la dermatologie.
A l’âge où elles peuvent présenter des concours hospitaliers, ces jeunes femmes sont en période de maternité, ce qui les conduit à exercer la médecine générale ou obère leur carrière hospitalière.
A vrai dire, le gros problème de la femme médecin est la maternité.
Pour les libérales, jusqu’en 1982, la médecine était un métier d’homme car les femmes médecins ne bénéficiaient d’aucune couverture maternité.
Il a fallu attendre 2006 pour qu’elles obtiennent l’alignement du congé maternité sur celui des salariés. Et les indemnités journalières ne couvrent actuellement pas tous les frais de cabinet…
Il faut savoir que dès leur premier enfant, 60% des femmes diminuent leur activité de 12%, ce chiffre augmentant à chaque nouvelle naissance.
Quant aux médecins femmes exerçant à l’hôpital, « même si l’environnement est relativement bien respecté, s’exerce quand même une pression (amicale) sur le médecin en congé et son équipe ». Les praticiennes ne sont pas remplacées et « il y a un moment où si vous n’êtes pas là, quelqu’un peut prendre votre place » (Dr Rachel Bocher psychiatre et présidente de l’INPH – Intersyndicat national des praticiens hospitaliers).
A l’hôpital, la femme enceinte ne prend plus de garde.
La meilleure solution serait, pour la femme enceinte, de rester hospitalière jusqu’au terme de son congé de maternité puis de se tourner vers l’exercice libéral pour aménager son temps de travail en fonction de ses contraintes familiales.
Quoiqu’il en soit, les femmes médecins prennent les bastions les uns après les autres. Le dernier à tomber : la chirurgie.
Je me dois de raconter la déception de cette jeune interne désirant se consacrer à la chirurgie qui va se présenter à son patron d’externat. Lequel lui conseille de se consacrer à ce pour quoi elle était faite : la maternité.
Dans le même bulletin de l’Internat de Paris de 1988, le Professeur Michel Arsac s’inquiète de l’influence de la lune sur « la finesse de l’intuition psychologique de ces dames »qui conduit au diagnostic (les femmes chirurgien). Il se console en concluant « qu’après les avoir tenues dans nos bras, nous serons confiés à leurs mains ».
Beaucoup plus macho, ce doyen représentant ses pairs à un CA de la noble institution qu’est l’AP-HP.
Alors que j’interrogeai la DG sur la nomination d’un candidat banal au détriment d’une femme plus méritante, ce petit administrateur m’a rétorqué qu’elle devait d’abord vaquer à l’éducation de ses enfants. Ce qui obérait sa carrière hospitalo-universitaire. C’était en 2007 !
C’est dire combien nous devons saluer des femmes d’exception telles que le Professeur Francine Leca, la première chirurgienne cardiaque en France.
Chef du service de chirurgie cardiaque à l’hôpital Necker à Paris jusqu’en 2006, elle a opéré plus de 6000 jeunes en trente ans de carrière, première femme agrégée de médecine, ou le Professeur Claire Fékété chef du service de chirurgie pédiatrique viscérale à Necker.
Autre problème : alors que les femmes sont de plus en plus présentes au niveau de la distribution des soins, elles sont peu représentées dans les instances de pouvoir, ou les prestigieuses sociétés savantes.
D’après le Quotidien du Médecin, là où cette promotion se fait sur de vrais concours, leur carrière progresse. Mais quand cette promotion se fait par cooptation, elles en font les frais. Et alors que le nombre d’universités a explosé, peu de femmes ont accès aux postes prestigieux. RM Van Lerberghe , ancienne DG de l’AP-HP , lorsqu’on lui demandait le féminin de PU-PH, répondait PH.
Sur 4000 PU-PH, seules 12% sont des femmes. Elles étaient 9% en 2005. Honneur soit rendu à l’AZP-HP avec ses 14% de femmes PU-PH.
Sur les 49 facultés de médecine, 2 femmes
Sur les 130 membres titulaires de l’Académie nationale de Médecine, on compte 7 femmes, et parmi les 160 membres correspondants 21 dont l’éminente Professeur Claudine Bergoignan-Esper, Vice –Présidente de la ligue contre le cancer qui nous fait l’honneur d’être parmi nous.
Je salue ici la présence du Docteur Renée-Claire Mancret, académicienne elle aussi, fût-ce de l’Académie nationale de Pharmacie.
A l’Académie nationale de Chirurgie, siègent 377 membres dont 11 femmes. Trois exercent en chirurgie pédiatrique, trois en chirurgie plastique ou esthétique, deux sont ophtalmologistes, une chirurgien de la main, la dernière est neurochirurgien.
Comme le dit le professeur Eliane Gluckman, à l’occasion de sa promotion au grade de commandeur de la Légion d’Honneur : « le nombre de femmes internes des hôpitaux était assez limité et il y avait une tendance à les cantonner dans les disciplines non cliniques, dites alors mineures, comme la biologie ou la recherche mineures ».
Le Conseil national de l’Ordre des Médecins, dans son bureau de 17 membres, ne compte qu’une femme, Irène Kahn-Bensaude, Vice-Présidente, par ailleurs, Présidente du Conseil de l’ordre des médecins de la Ville de Paris.
Dans ces conditions nous devons saluer les femmes d’exception qui, par leur courage et leur détermination, ont œuvré pour la médecine est sont unanimement reconnues :
Le Professeur Françoise Barre-Sinoussi, membre de l’Académie des sciences, grand officier de la Légion d’Honneur, Prix Nobel de Médecine en 2008 avec le professeur Luc Montagnier.
Le Professeur Thérèse Planiol, pionnière de la recherche sur le cerveau, fondatrice de la Société française pour l’application des Ultra-sons en médecine et biologie qui vient de nous quitter. Cette amoureuse de la Touraine s’est penchée sur l’histoire des femmes médecins dans un livre intitulé d’ailleurs : « herbes folles hier, femmes médecins aujourd’hui ».
Mais il faudrait citer aussi le Professeur Dominique Stoppa- Lyonnet, devenue députée suppléante de François Fillon.
Oui la profession se féminise. Faut-il croire alors Béatrice Majnoni d’Intignano qui pense que lorsqu’une profession se féminise elle se paupérise ? Je me range plutôt du côté d’Irène Kahn-Bensaude qui dit que « la féminisation en médecine est une chance à saisir ».
La présence des femmes médecins a déjà induit plusieurs changements dans la société : les gynécologues médicaux, majoritairement des femmes, ont aidé à modifier les lois sur l’IVG et la contraception.
La féminisation est un moteur de changement. C’est sous l’impulsion des femmes que les médecins dans leur globalité revendiquent une meilleure qualité de vie qu’on assiste à une meilleure relation/patient et que la médecine est mieux coordonnée autour de ce patient.
Mesdames, nous serons toujours différentes de nos homologues masculins, mais nous sommes mues par la même volonté, « écouter toujours, soulager souvent, guérir parfois », et les défauts qui peuvent nous faire souffrir chez les uns n’est hélas pas l’apanage du sexe. Alors, courage et tous ensemble, soignons ! nous avons tellement besoin les uns des autres !
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