Covid, crises et traumatismes : alerte sur la santé mentale des enfants
Les petits sont les grands oubliés des crises
Il est important d’alerter les parents et les media sur les risques psychiques et somatiques rarement pris en compte.
Le « traumatisme de l’encabannement » les touchent, les déstabilisent, les inquiètent autant que leurs parents mais ils traduisent leur malaise différemment Les plaintes algiques et l’excitation occupent la scène.
Les enfants parlent avec leur corps : agitation motrice et douleurs corporelles sont des signes d’alerte fréquents. Ajoutons la violence des crises familiales, les paradoxes sociétaux, le terrorisme et la coupe psychique déborde.
Les services de pédopsychiatrie et de pédiatrie sont au delà de la saturation
Il est nécessaire de protéger les enfants des informations anxiogènes, des peurs, des décomptes macabres qui passent en boucle, nécessaire d’être vigilant à la maison comme à l’école pour ne pas véhiculer les messages « sur le virus qui tue » et les aider à se projeter vers un avenir plus riant.
LES PETITS, GRANDS OUBLIÉS DES CRISES
Les petits sont les grands oubliés des crises, la pédopsychiatrie étant le parent pauvre de la psychiatrie, elle-même en disette.
Pourtant ils sont aussi vulnérables, voire plus que les adultes déjà armés par la vie. Les risques psychiques et somatiques sont rarement pris en compte.
Le « traumatisme de l’encabannement » les touchent, les déstabilisent, les inquiètent autant que leurs parents mais ils traduisent leur malaise différemment, par des plaintes algiques. Ils parlent avec leur corps : agitation motrice et douleurs corporelles sont des signes d’alerte fréquents. Ajoutons la violence des crises familiales, les paradoxes sociétaux, le terrorisme et la coupe psychique déborde.
Les services de pédopsychiatrie et de pédiatrie sont au-delà de la saturation. Le nombre d’hospitalisations en pédiatrie a augmenté. Les bronchiolites ont diminué ainsi que vraisemblablement les infections saisonnières pendant confinement : diminution de la pollution et de la contagiosité des crèches et écoles, gestes barrières.
En libéral, la baisse globale des consultations y compris pour les pathologie chroniques, par peur d’être contaminé chez le médecin, ne permet pas d’avoir une visibilité sur les petites pathologies infantiles, ni connaitre le taux d’infections saisonnières. Les parents se sont-ils contentés du doliprane pour les petits symptômes?
La souffrance des enfants est peu médiatisée. Les décomptes macabres qui passent en boucle sont, pour tous, un facteur torpide de mal-être, de dépression, de troubles psychiques et somatiques.
La communication anxiogène envahit les ondes. Aucun enfant n’est épargné, « le virus qui tue » et la mort s’imposent à l’école et dans la maison.
Il est nécessaire d’alerter les parents car le mal-être, la souffrance morale chez l’enfant passent souvent inaperçus, banalisés en turbulences ou « jérémiades »
Il est utile de protéger les enfants des informations sinistres, des peurs, des inquiétudes, d’être vigilant et de les aider à se projeter vers un avenir plus riant.
Nous voilà, depuis près d’un an, assignés, tantôt à résidence, tantôt aux restrictions. Confinés à l’intérieur de nous même, seuls ou en famille, nous sommes happés par l’envie de rien face au tout qui pèse.
Dans ce no man’s land sidérant, tout un chacun se sent dépassé, impuissant.
La confusion entre mortalité et létalité n’aide pas à prendre du recul face à l’anxiété collectivement entretenue.
Comme le virus, il existe plusieurs variants pour se défendre : tomber malade, tomber en dépression, tomber dans l’alcool et la drogue, le jeu et la télé, tomber sur son conjoint à bras raccourci …. ou tomber enceinte!
Nos enfants assistent à ces chutes, les vivent et les souffrent. « Les plaintes algiques sont une manifestation fréquente de la souffrance psychique d’un enfant traumatisé »
« Le roi est nu ». La perte du contrôle et de maîtrise dissout les repères et met la société en apnée. Avec la pandémie qui submerge le monde, les enfants sont troublés par la découverte que leurs parents, piliers de leur sécurité et de leur protection sont désemparés, impuissants et que « le roi est nu »
Le traumatisme peut se convertir en somatisations : ces douleurs physiques et plaintes du corps sont très bavardes quand on sait les écouter.
RETOUR DE MANIVELLE CLINIQUE
Exerçant la pédopsychiatrie en libéral, j’ai observé pendant ces quelques mois sous hautes frayeurs, chez mes petits patients une recrudescence des symptômes physiques le plus souvent bénins mais aussi l’apparition soudaine de pathologies psycho-somatiques comme l’asthme et l’eczéma ou encore l’aggravation assez brutale de maladies graves.
La plus grave et douloureuse est la récidive d’un neuroblastome chez un enfant stabilisé depuis de trois ans. Le petit garçon joyeux, en pleine forme, du vif argent, avait fait un dessin très différent des précédents et ne voulait pas le commenter ; Pour la première fois, il avait mis de la couleur sur son animal fabuleux, le tâchettant de petits grains rouges. J’espérais, pleine de tristesse et d’appréhension, qu’il n’inscrivait pas la prescience de sa rechute. La scintigraphie a, hélas, donné raison à sa prémonition et à Lacan : «A son insu que sait, à son insuccès ».
Fort heureusement, le corps parle moins agressivement.
Dans la grande majorité des cas les manifestations sont bénignes. Tous les parents connaissent « le mal au ventre » des examens. Les intestins révoltés se nouent. Les maux de tête des contrôles ou de la colle, loin d’être une simulation, sont la manifestation physique de l’angoisse, authentiquement douloureuse. Les problèmes respiratoires, cutanés, digestifs sont plus fréquents, ainsi que les troubles alimentaires et du sommeil, modification du comportement : pleurs, cauchemars, colères, caprices alimentaires… Ces symptômes qui n’épargnent pas leurs proches: quand les choses vont mal longtemps et sans visibilité sur l’avenir, l’impatience, l’irritabilité, l’agressivité prennent le dessus.
DU SENS DES SOMATISATIONS
Les somatisations ont un sens qui s’inscrit dans l’histoire épique, épigénétique et génétique.
La peau, barrière entre le dehors et le dedans est une zone frontière qui inscrit des conflits et les discordantes; elle s’irrite en dermatite, psoriasis, acné…
L’asthme a un retentissement particulier. L’air pollué est une menace constante et imprévisible, l’expiration peut se bloquer à tout moment ; l’air et l’inspiration viennent à manquer.
On mesure mal chez les petits l’impact terrifiant des premières crises avec la découverte de la peur d’étouffer, surtout quand le quotidien est préoccupant et anxiogène.
Petit gars a bout de souffle. Petit gars, le siffleur, le grand braillard, le fort en gueule a arrêté de siffler, de brailler, de gueuler. Il s’inquiète de l’air qu’il respire, traque la poussière et va se coller tout seul au coin, en vertu d’injonction qui n’existe que dans sa tête, la pratique familiale lui préférant le « file dans ta chambre » . Le pirate la met en veilleuse pour s’éviter une de ses flambantes colères pompeuse d’air dont il est ou plutôt était coutumier.
Petit gars a six ans et vient de découvrir l’étouffement. Il se rétrécit, parle doucement, ne chante plus, s’écrase. Il a peur de la « crise », limitant son espace et ses mouvements, il s’économise par peur de manquer d’air, lui, au toupet infernal, qui n’en manquait jamais.
Le frère aîné a pris le relais, sifflant à tout va. Son cadet susurre sentencieusement « C’est un tic, il a pris un tic ». Petit gars continue à balancer des coups de tatanes discrets. Prudent, il en a modéré l’ampleur pour que ça ne dégénère pas en bataille qui lui demanderait du souffle.
La faute à qui tout ça ? A l’arrière grand-mère et au grand père-asthmatique ? A la Crise qui met son père sur la paille, au papa inquiet de la faillite annoncée au point de fondre de quelques kilos en un mois ? La faute au monde qui tourne pas rond ?
DES MOTS POUR LE VIVRE
Les enfants ont du mal à définir l’angoisse et y poser les mots. Ils absorbent comme des éponges l’anxiété, la fatigue et les peurs des parents. Ils vivent de plein fouet la crainte d’une maladie incontrôlable, la frayeur des décapitations, la possible mort de proches, toutes ces horreurs irreprésentables.
Vulnérables aux ambiances, ils subissent les vagues de désillusions, la lassitude, entendant chaque minute que plus rien n’est maîtrisable, que de Londres à Bagneux, tous les Etats ont perdu tout contrôle dans le combat contre ce virus qui ne cesse de muter et d’accoucher de variants,
Ils touchent du doigt que la mort existe, présente tout près. Ils pressentent que personne ne peut les protéger contre les incohérences, les incertitudes et les aléas de la vie.
J’entends souvent parents dire que leurs enfants ne regardent pas la télé et n’écoutent pas les conversations. Plus on est confiné, plus on la regarde, et il faut bien les occuper pendant le télétravail. Les secrets de famille n’ont de secret que la crédulité des parents à croire que les murs et leur progéniture n’ont pas d’oreilles.
Petits et grands, tous dépassés et perdus cherchent le bout du tunnel, éprouvant à leur façon, les incertitudes, l’absence de perspectives, le vide. Petits et grands sont éprouvés par les contraintes contradictoires sans fin, les restrictions qui durent, avec au bout la crainte des faillites et la perte d’emploi voire du logement.
Tout le monde, en stand by, attend des solutions logiques et satisfaisantes pour sortir et revivre normalement. Certains ont plus de capacités d’adaptation et de résilience que d’autres, mais ceux qui en ont peu sont évidemment à risques de décompensations somato-psychique. Il est important d’alerter les parents sur les symptômes qui masquent leur souffrance, et d’être attentifs au fait que les enfants n’ont pas toutes les clefs ni tout les mots pour comprendre ce qui leur arrive.
Il est urgent de les aider à parler et à verbaliser ce qu’ils ressentent sans savoir l’exprimer. Greffer les mots sur les angoisses les aidera à se projeter vers un avenir meilleur et plus ludique, le retour du bon temps où on fête les anniversaires avec les copains et les noëls avec les grands parents en ayant le droit de se câliner et de s’embrasser.
Dr Isabelle GAUTIER
Pédopsychiatrie – Psychanalyse – Psychosomatique
89 rue des Morillons – 75015 – Paris – 06 50 77 74 42
Présidente de l’Association Française des Femmes Médecins,
Vice-Présidente du DPC de la fédération de Psychiatrie PSYSM,
Conseiller au Conseil Régional de l’Ordre des Médecins d’Ile de France
Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire.