Quand l’ Hypnose devient scientifique

L’hypnose est une pratique connue depuis des dizaines d’années pour son efficacité dans la douleur puis plus récemment dans différentes addictions comme le tabagisme ou l’addiction au sucre, particulièrement dévastateurs en termes de santé publique. Le stress, les troubles du sommeil et de la libido sont aussi approchés par l’hypnose.

Actualité

Dans le contexte actuel d’Evidence Based Medicine (médecine basée sur les preuves), il est de plus en plus important d’évaluer scientifiquement cette efficacité et d’établir les bases solides sur les mécanismes physiologiques impliqués, ceci pour asseoir solidement l’ancrage universitaire de cette approche.
La polémique, assez violente, qui divise actuellement le monde médical concernant l’homéopathie permet de comprendre les forces en présence qui ont conduit les doyens à supprimer l’enseignement de l’homéopathie, à savoir les Diplômes d’Université (DU) concernés. Il faut savoir en effet que les DU sont des diplômes de Formation continue spécifique à telle ou telle université et pour lesquels il n’existe pas de contrôle national, d’où leur fragilité.
Pour l’hypnose, il existe bien un DU, reconnu par l’Université Pierre et Marie Curie (Paris 6) qui constitue certainement une des meilleures formations actuelles, initié par le Dr Jean Marc Benhaïm soutenu par le Pr Coriat, anesthésiologiste. Cependant le corpus actuel de travaux scientifiques qui pourraient constituer la base d’un enseignement dans la formation initiale des médecins n’est pas encore suffisamment solide.
Au moment où, par ailleurs l’Université de Bordeaux a mis en place une équipe de recherche sur l’évaluation des thérapeutiques non médicamenteuses, il est évident que ces dernières pourraient constituer de nouvelles économies en termes de santé publique. Surtout si l’on tient compte de leur quasi-absence d’effets secondaires par comparaison aux médicaments et de la perte de confiance (relative) du public vis-à-vis de la pharmacopée.

Le Dr Richard Garnier a fait le point récemment sur les connaissances scientifiques actuelles dans un ouvrage remarquable « Votre santé les yeux fermés » (Albin Michel 2018). Praticien reconnu de l’hypnose au niveau international il a été à l’origine de la mise en place d’un prix scientifique international avec l’aide de l’International Foundation for Research in Hypnosis, créée à cet effet.

Pour la première fois en 2019 ce prix a été lancé, un jury scientifique international a été créé pour donner plus de visibilité aux travaux scientifiques publiés et permettre une aide au financement dans un domaine où les appels d’offres publics ou privés sont encore bien limités. 

Prix international 2019

Trois équipes ont été présélectionnées sur leurs publications :

1-Belgique : Group intervention to reduce emotional distress and fatique in breast cancer patients : a 9 months follow-up pragmatic trial. Bragard I, Faymonville ME, Grégoire C, Vanhaudenhuyse A. British journal of cancer 2017

2-Suisse : Hypnotic analgésia reduces brain responses to pain seen in others.Braboszcz C, Brandao-Farinelli E, Vuillemer P. Scientific reports 2017

3-France-Canada : Hypnosis to facilitate trans oesophagal echocardiography tolerance : the I-SLEPT study. Corman I, Bouchema Y, Rousseau H, (…) Turnoux F, Archives of Cardiovascular Diseases 2016

Choix du jury : La remise du Prix a eu lieu à Sofia (Bulgarie) lors d’une rencontre internationale où l’ambassade de France était représentée par le directeur de l’Institut français.

Le Jury a retenu à l’unanimité l’étude suisse : Brain response to pain seen in others. Cet article apporte réellement « a piece of knowledge » sur les mécanismes cérébraux de l’hypnose dans la douleur. Un protocole rigoureux utilisant une technique d’imagerie fonctionnelle cérébrale a permis de mettre en évidence les zones cérébrales impliquées dans la douleur ressentie personnellement et, pour la première fois dans la perception émotionnelle de la douleur chez les autres.

Le CV de la candidate est par ailleurs impressionnant 

Les deux autres études sont apparues moins originales :

1-Reduction of distress and fatigue in breast cancer. Cette étude démontre une nouvelle application de l’hypnose (en fait auto-hypnose) à savoir l’amélioration de la qualité de vie après cancer. Etude pragmatique observationnelle intéressante, mais à l’originalité limitée, car toutes les interventions centrés sur la personne se révèlent positives dans ce contexte (exercice surtout, mais aussi yoga, méditation, pratique artistique, etc. )
2-Transœsophagal echocardiography tolerance. Cette étude est plus banale, car les résultats confirment simplement la tolérance à la douleur induite par l’hypnose. Ceci inclut à fortiori les actes diagnostiques invasifs.

Perspectives

Un groupe de travail issu de Sociétés savantes internationales sur l’hypnose a travaillé sur les priorités en terme de recherche. Cela a abouti en 2017 à un article :New directions in hypnosis research : strategies for advancing the cognitive and clinical neuroscience of hypnosis . Jensen MP et al. Neurosci.Conscious.2017

Les priorités sont les suivantes :
1-Approfondir des connaissances existantes, qui devraient permettre de compléter les données de l’Electroencéphalographie (EEG) et de l’imagerie cérébrale (IRM)
2-Travailler sur le rôle de l’induction hypnotique avec un souci de standardisation des pratiques, trop variées pour pouvoir mettre en place des protocoles méthodologiquement fiables 
3-Relier l’hypnose aux autres neurosciences comme la méditation en pleine conscience qui aujourd’hui bénéficie de meilleurs financements 
4-Remettre en question le concept de « suggestibilité », sa mesure et son utilisation dans la sélection des sujets d’études car :
a) la suggestibilité mesurée n’est pas toujours en relation avec l’efficacité clinique ;
b) la pratique trop répandue de comparer deux groupes extrêmes, suggestionnables et non suggestionables prive les études de la connaissance sur la majorité des sujets.
5-Rapporter les effets réels de la suggestion dans le contexte de la transe. mieux distinguer les effets de la suggestion et ceux de la transe
6-Partager les données et unifier les pratiques.En particulier « il serait nécessaire de standardiser la procédure hypnotique, en utilisant des scripts reproductibles »

Conclusion

 La standardisation des pratiques me parait le plus important préalable à un devenir réellement scientifique de l’hypnose, permettant la mise en place de protocoles et de partages de données. On pourrait imaginer des sortes de « Conférences de consensus » qui, en marge des congrès, pourrait travailler à ce thème majeur.
La méthodologie des conférences de consensus est maintenant parfaitement codifiée et a fait ses preuves dans la pratique médicale lorsque les données scientifiques sont insuffisantes. Elle permet d’unifier les pratiques, mais aussi d’ identifier et combler les lacunes de connaissances sur des bases communes.
On pourrait aussi, parallèlement travailler sur des points précis, communs à la grande majorité des pratiques comme les modifications de la respiration. Mais ceci est une autre histoire…
A suivre donc !

Pr Josette Dall’Ava-Santucci

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