Les grandes oubliées – Les invisibles femmes médecins de la guerre 1914-1918

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Dans l’écriture de cette grande guerre, comme lors des commémorations, la place réservée aux femmes médecins reste congrue voire inexistante. Leurs actions sont minimisées voire effacées car dérangeantes. Exerçant leur métier dans l’ombre, mis à part deux ou trois  personnalités, elles se sont évanouies dans la mémoire collective. Personne ne parla d’elles le 11 novembre 2018. Même Marie Curie, présidente d’honneur de l’AFFM,  fut oubliée.

Le 11 novembre 2018 s’est achevé les commémorations de la guerre 1914-1918. De nombreuses manifestations et colloques ont marqué le centenaire.
Jeudi 18 octobre, s’est tenue une magnifique journée au Palais du Luxembourg de Paris, sur « Les femmes pendant la grande guerre », à l’initiative de la délégation aux droits des femmes du Sénat. Elle fut inaugurée par le Président du Sénat, M. Gérard Larcheret Mme la Sénatrice AnnickBillon.

L’AFFM était représentée par sa Présidente et la Secrétaire générale.

Marie Curie.

Historiennes et historiens se sont succédés pour évoquer la vie, l’épopée et les combats à l’arrière des femmes durant plus de 4 ans.
Tour à tour épouses ou fiancées éplorées, travailleuses acharnées remplaçant les hommes dans les activités rurales ou industrielles, elles se sont distinguées par leur courage et leurs engagements.
Elles étaient coltineuses, (1) munitionnaires, conductrices de tramway, ou taxi et ouvrières agricoles voire espionnes. La liste est longue… Les plus louangées sont les infirmières professionnelles (≈ 70 000) ou bénévoles (≈ 30 000), surnommées : « Les Anges blancs ».
La place réservée aux femmes médecins est plus réduite voire inexistante. Leurs actions sont minimisées voire effacées car dérangeantes.
Exerçant leur métier dans l’ombre, mis à part 2 ou 3 personnalités, elles se sont évanouies dans la mémoire collective. Personne n’en n’a parlé durant ce colloque.
Le nom de Marie Curie fut évoqué pour sa conduite admirable mais elle n’était pas médecin.

 

 

Nicole Girard-Mangi, unique femme médecin volontaire

« Nicole Mangin, seule femme médecin de la grande Guerre » (2)

Le Docteur Nicole Girard-Mangin (2) (1878-1919) est l’unique femme médecin volontaire, enrôlée en 1914 dans le service de santé des armées. Par erreur toutefois, les autorités militaires pensaient que Docteur Girard-Mangin était un homme prénommé Gérard !
Médecin major, elle est assignée à Bourbonne-les-bains puis à Verdun. Revenue à Paris, elle dirige et forme les infirmières de l’hôpital Cavell. Elle ne reçut ni titre ni citations ou médaille.
Divorcée avant 1914 avec un fils, elle était féministe et militait avant-guerre à l’Union des Femmes Françaises qui deviendra le Comité National des Femmes Françaises  (CNNF).

 

 

 

 

 

« je serais le médecin des hommes aussi. » (5)

Comme le souligne Françoise Kern-Coquillat (3) :  les nombreuses infirmières de l’époque sont évidentes. Néanmoins, leur sur représentation les efface.
Elles sont fabriquées et guidées selon un code de valeur bien établi, conforme à la discipline militaire. Elles sont dévouées, indispensables mais subalternes et souvent muettes.
Les femmes médecins, en revanche, ont une représentation incongrue, voire inquiétante à l’aube du XXe siècle.

Elles sont pourtant en nombre croissant depuis que Madeleine Brès (1842-1925) est devenue la première française Docteur en médecine en 1875. Elle exerça même comme interne provisoire à l’hôpital de la Pitié durant la guerre de 1870.

En 1902, il y a 30 femmes internes à Paris et 60 en province, soit 0,5 % des praticiens ; (4)
En 1914, on compte 110 000 infirmières et seulement 300 femmes pour 12 000 hommes médecins diplômés.

 

 

 

 

Quelques unes furent exemplaires

Augusta Klumpke.

Augusta Klumpke, mariée au Dr Déjérine, est la première femme interne des Hôpitaux de Paris en 1886. En 1914, à 55 ans, elle se dévoue aux soldats blessés en neurologie, à l’hôpital de la Salpétrière. Elle organise, à partir de 1917, le service des grands  infirmes de l’hôpital des Invalides. Elle est novatrice dans les traitements et la réadaptation fonctionnelle des traumatisés médullaires.

 

 

 

 

 

Blanche Edwards-Pillet et des internes à la Salpétrière.

Blanche Edwards-Pillet,  amie de faculté d’Augusta, est l’initiatrice du secourisme. A 56 ans, elle n’hésite pas à enseigner à plus de 400 jeunes femmes les premiers soins. Ses élèves iront ensuite renforcer les postes infirmiers du front.

Nous ne savons rien ou presque des actions de Madeleine Pelletier, Marie WilbouchewichtNageotte, ou de Mesdames Tissot-Monod et Collard-Huard. Elles sont pourtant médecins en exercice durant toute la guerre.

Combien de femmes anonymes diplômées ou en cours d’études vont se substituer aux  praticiens mobilisés ?
L’urgence fait loi et toutes les internes seront recrutées même sans thèse, comme SuzanneNoël-Gros. Grâce au mouvement des Soroptimist, dont elle sera en 1924 la fondatrice et l’ambassadrice en France, ses mérites de chirurgien des « gueules cassées » seront reconnus.
Plus de doutes sur les capacités de toutes ces femmes médecins. Beaucoup vont soigner dans les hôpitaux militaires ou civiles et en cabinet privé. Elles vont diriger des dispensaires, des maisons de convalescence et former des infirmières. Cependant peu d’entre elles vont laisser des traces. Quelques une seulement seront honorées de la Légion d’Honneur ou de la Reconnaissance de la Nation.
Bien que certaines se saisissent des opportunités qu’offrent cette guerre, le plus grand nombre des femmes médecins occupent un rôle secondaire et subordonnée voire préfère cacher leur titre et s’engager comme infirmière.
Les célébrations du centenaire de la grande guerre les ignorent mais l’AFFM veut rendre hommage à toutes ces femmes médecins inconnues qui nous ont ouvert la voie.

 

Quelles répercussions sur l’émancipation des femmes après la victoire ?

Si en 1919, le journal La vie féminine titre : « Il a fallu la grande Guerre pour que l’Humanité prît conscience de sa moitié », la journaliste Séverine affirme aussitôt : « Les femmes n’ont été que les domestiques de la guerre ».
La plupart des femmes ont été renvoyées à leurs tâches ménagères, sommées de repeupler la France. Le gouvernement adopte des lois répressives sur la contraception et l’avortement pour favoriser la natalité.
Les femmes françaises n’ont pas obtenu le droit de vote, contrairement à leurs homologues britanniques, allemandes ou américaines.
La réalité est plus nuancée pour celles qui veulent étudier. Le décret Léon Bérard en 1924 donne le droit d’accéder au baccalauréat à toutes, sans conditions. Il ouvre ainsi plus largement  les portes de l’université dont la faculté de médecine, aux jeunes filles.

Brigitte Lecot-Famechon
Secrétaire générale de l’AFFM

 

Sources :
(1) Coltineuses: celles qui portaient de lourdes charges (se coltinaient)
(2) « Nicole Mangin, seule femme médecin de la grande Guerre », Marie-José Chavanon, Ed. Vent d’Est, oct. 2016
(3) Françoise Kern-Coquillat, thèse, Montpellier 3, 2013. « Les femmes dans le service de santé pendant la guerre de 1914-1918 en France »
(4) Juliette Rennes: «Le mérite et la nature. Une controverse républicaine : l’accès des femmes aux professions prestigieuses,  1880-1940», Fayart, Paris 2007
(5) BIU Santé, collection de carte postale début XXe siècle  sur l’étudiante en médecine: « je serais le médecin des hommes aussi »