HOMME RÉPARÉ, HOMME AUGMENTÉ…
Homme réparé, homme augmenté…
Où va l’humanité?
Professeur Jean-François MATTEI, Conférence-Débat, Nancy – octobre 2015.
Synthèse par le Docteur Dominique BOISSON-BERTRAND.
Qu’est-ce que le corps? Question à multiples facettes...
Il semble que le corps fasse partie intégrale de l’individu, soit le reflet de la personne, ce qui justifie la recherche, parfois frénétique, de l’image la plus esthétique, la plus séduisante pour être «bien dans sa peau» . Un changement complet de l’apparence pourrait alors transformer le destin d’un individu en lui permettant de réaliser son rève…
Ce lien fusionnel entre le corps et l’esprit, à l’origine du sentiment intime qu’est la pudeur, ne pourrait être rompu qu’à la mort par la séparation de l’âme et du corps. Personne n’est jamais pur esprit et le corps devient la personne. Cette notion a été perçue très tôt puisque, dès l’époque romaine, le code civil distinguait les personnes et les choses… mais le corps ne saurait être chose parce qu’il est «moi»…
Pourtant, aujourd’hui le statut du corps se pose autrement.
En effet, le lien entre esprit et corps tolère des exceptions, l’esprit peut refuser de rester cloîtré dans un corps handicapé et s’exprimer librement, indépendamment de ce corps. Inversement le corps peut enfermer l’esprit comme dans le «locked-in syndrome», syndrome neurologique où le patient tout étant totalement conscient avec des propriétés cognitives intactes, ne peut parvenir à s’exprimer.
J. D. Baubry illustre dans un livre bouleversant ce type d’évasion grâce aux seuls battements de cils.
Au cours des siècles, le corps, disséqué, a été mieux connu, voir pensé comme une mécanique.
Au XXème siècle, il devient l’objet de tous les soins tandis que l’âme est délaissée sauf lorsque ses souffrances entrainent une somatisation, changeant ainsi notre vision du corps…
Puis la science et la médecine ont amélioré la performance du corps. Deviendrait-il une chose?
Les transplantations utilisent le vivant comme thérapeutique, la biomédecine, la robotique font naître l’idée d’un corps en pièces détachées, mais ces organes greffés changent-ils pour autant la personnalité? Donc ce qui fait l’humanité de l’homme n’est probablement pas dans le corps. Ce qui était évident pendant des siècles a cessé de l’être et de nouvelles problèmatiques éthiques et juridiques voient le jour.
Le corps n’obéit-il pas à des lois voisines de celles qui régissent les choses? Peut-on porter atteinte au corps, peut-on en vendre des parties? La partie exclue appartient-elle encore à son ancien propriétaire? La non patrimonialité du corps est une notion difficile à cerner et si elle est admise en France, elle est loin d’être universelle. En fait, le corps, lieu de rencontre de l’âme, esprit, intélligence, raison avec le monde extérieur, détient une dimension sacrée, au sens latin du terme qui suscite vénération et horreur. Mais qu’en est-il du corps mort, du corps du défunt? Il deviendrait une chose , quoique sacrée, comme le montre la vénération chrétienne des reliques. On comprend ainsi mieux l’indignation suscitée par l’exposition «Our Body» de cadavres chinois en 2008.
Le droit concernait des personnes physiques ou morales, à partir du XXème siècle, sur le plan juridique, le corps ne peut plus être considéré comme une chose comme les autres.
Le corps peut aussi être perçu de l’intérieur, révolte du corps sous la torture, par exemple, qui modifie le comportement de la volonté. La Loi sur les coups et blessures reconnaît que le viol porte atteinte à la personne à travers l’agression corporelle.
Restrent des ambiguités, le corps peut être considéré comme une chose mais ne peut être traité ni comme une chose ni comme un bien propre, sinon il pourrait, lui ou une de ses parties, être vendu.
Cette intégrité peut être violée dans certaines conditions bien définies par la Loi (dons d’organes..)
Il devient donc nécessaire de différencier le corps humain d’une simple chose d’où la réactualisation d’un concept philosophique antique (repris ensuite par les théologiens) de la consubstancialité du corps et de la personne. Dans ces conditions la personne ne peut pas disposer librement de son propre corps puisqu’il fait partie intégrante de sa personne et celle-ci a comme obligation de respecter l’humanité qu’elle détient (interdiction de mutilation, du lancer de naims).
En 1994, le vote d’une loi relative au respect du corps humain illustre le glissement du respect du à la personne au respect du au corps. Le corps devient un sujet de droit (bio-droit) et un objet de respect. Chacun a droit au respect de son corps, le corps est inviolable et ses éléments ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial. Selon la Loi, les conventions conférant une valeur patrimoniale au corps humain sont nulles (procréation ou gestation pour autrui), de même que la structure d’un gène ne peut faire l’objet de brevet.
L’homme abimé ou réparé
La première obligation liée au respect du corps est de tout faire pour le soigner, prévention, recommandations de Santé Publique, la médecine réduit ainsi la personne à un corps dont elle fait son objet, le corps tend à faire disparaître la personne «mon IRM». La plainte n’est plus recevable dès lors qu’elle n’a pas de traduction technologique et nombreux sont les patients qui se plaignent de ne pas être reconnus en tant que personnes à part entière dans leur diversité. La robotique pénètre la médecine avec son risque de deshumanisation (coeur artificiel, neuro-prothèses).
Les lois de bioéthique ont légitimé les transgressions (dons d’organes vivants…) et tout ceci n’est souhaitable que si la personne est considérée dans sa globalité. Par la Loi sur le Droit des Malades (2002), le patient reprend le droit sur son corps et autorise ce qui paraissait autrefois sacrilège.
Ces techniques réparatrices peuvent parfois aussi aboutir à l’amélioration de performances..(Oscar Pistorius: the blade runner)
L’ homme augmenté ou amélioré.
L’ amélioration de la nature humaine, ou eugénisme, rapelle l’eugénisme nazi, projet dangereux qui menace les droits de l’homme d’où l’interdiction des manipulations génétiques modifiant la personne… et sa descendance (1993). Est-il licite d’améliorer les défenses immunitaires par des manipulations génétiques dans le but d’une amélioration de soi? La pharmacologie a également tenté de modifier la personnalité (Prozac..), de nombreux moyens thérapeutiques sont utilisables à des fins non thérapeutiques (dopage). A quel moment franchit-on la limite et quelle limite, entre l’utilisation de l’altitude etl’injection d’EPO? L’unanimité est loin d’être faite autour de cette question dont l’enjeu est une menace pour la nature humaine. L’homme est-il une fin en soi ou une étape vers une évolution? Hier, animal ou barbare et demain tout ou partie machine! Le web peut être amené à jouer un rôle, la mobilisation en réseau permettrait à chacun d’apporter son intelligence pour en développer une nouvelle, collective et supérieure à celle de chacun.
L’homme transformé ou le post-humanisme.
Les techniques convergentes (biotechnologies , nanotechnologies, informatique, sciences du cerveau) permettent d’envisager un robot humanoïde, autonome avec intelligence «humaine», qui pourrait surpasser son modèle mais le robot reste une machine commandée par ordinateur.
Restent deux questions, pourrons -nous hâter le processus de notre évolution et avec quels risques? Et la machine risque t-elle d’échapper un jour à son concepteur?
Conclusion.
Pendant des millénaires le corps a été assimilé à la personne, puis à une chose dont on pouvait disposer. Certaines greffes se tolèrent sans problème , d’autres ( cœur, visage..) n’ont pu être supportées. Le corps est la personne qui l’habite, ce qui justifie le respect qu’on lui porte.
Mais demain la technologie ouvrira-t-elle l’ère de la post-humanité grâce à l’intelligence artificielle ? Dans les films de science-fiction, les robots conservent des sentiments humains, traduisant notre attachement, corps et âme, à notre humanité !
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